Le Saint Homme a fait la rencontre de Gwendolyne, revenue à Saint Omer après 30 ans en Afrique. Ayant lancé sa marque là-bas avec un tissu aux couleurs assez vives et typique du Sud de l’Afrique, on lui a demandé de partager ses connaissances.
On lui laisse la parole:
J’ai vécu presque toute ma vie en Afrique du Sud. Ni tout à fait française, ni tout à fait sud-africaine, je m’identifie à toutes les cultures mais n’appartient à aucune ; j’adopte les traditions des unes et des autres. Mes créations s’en inspirent, et le mélange de tissus africains, le style occidental, reflète mon passé coloré.
Mon histoire d’amour avec le tissu shweshwe, 100% coton, 100% sud-africain aux dessins délicats mais de texture solide, débute il y a une trentaine d’années. Le shweshwe est versatile, accessible, durable, et transcende les barrières politiques et culturelles.
Les femmes Européennes d’une part en font des robes chasubles pour leurs filles, et les femmes Xhosa (prononcer le « X » avec ce célèbre « Clique » !) utilisent les trois couleurs traditionnelles du tissu, l’indigo, le rouge et le marron, pour confectionner leurs magnifiques robes aux panneaux décoratifs – souvent imprimé du portrait d’un personnage important à l’occasion d’un anniversaire, d’une commémoration.
De nombreux panneaux ont été imprimés à l’effigie de Nelson Mandela par exemple, mais la production a été totalement arrêtée après sa mort : vous vous imaginez bien, cette collection-là vaut maintenant de l’or…
L’origine de ce tissu remonte en fait à l’antiquité ! Les Arabes et les Phéniciens utilisaient déjà cette teinture Indigo issue de l’arbre Indigofera Tinctoria – une teinture présente dans de nombreuses cultures. Ce sont les Néerlandais qui amènent cette technique de teinture en Afrique du sud en 1652 à leur arrivée au Cap de Bonne Esperance.
La technique de décoration du tissu est unique. Les motifs ne sont pas imprimés sur le tissu mais plutôt « décolorés » sur ce tissu préalablement teint à l’indigo. Le tissu passe dans un rouleau en cuivre sur lequel sont gravés des motifs qui libèrent un léger acide décolorant.
De fil en aiguille (vraiment !) la fabrication du shweshwe, alors connu sous le nom de « Blaudruk » est passée de l’Allemagne aux Pays Bas, à l’Angleterre, pour enfin devenir exclusivement sud-africaine en 1982 sous le drapeau de la compagnie Da Gama à Zwelitsha dans le Eastern Cape. Depuis, ses marques célèbres « 3 cats » et « 3 leopards » sont devenus un symbole de l’authenticité du Shweshwe.
Peu a peu, d’autres couleurs se développent, d’abord, le rouge et chocolat, qui, avec l’indigo demeurent les 3 couleurs traditionnelles. Mais récemment une toute nouvelle palette de couleurs a été créé : des roses, verts, turquoises, intenses et vifs qui séduisent désormais le monde entier.
Là, je suis mordue. Et Mathilde & Co est née.
Un tissu avec une histoire aussi riche, omniprésent dans la culture et l’histoire de mon pays d’adoption, aux couleurs qui ne peuvent que vous mettre de bonne humeur. Qui plus est, le tissu est si solide qu’il dure, lavage après lavage (et oui, mais même lavé au savon dans la rivière !).
Si comme le jean, la couleur s’estompe et se modifie plus on le lave, cela ne le rend que plus attirant : l’histoire de chaque vêtement s’écrit dans ses couleurs. Cette qualité de tissu fait bien évidemment parti de son succès : nous sommes loin de la culture de la « mode jetable » et des magasins de vêtements bon marché accessibles à chaque coin de rue. Il y a 300 ans de ça, tout comme aujourd’hui encore en milieu rural sud-africain, une robe, ça doit durer, endurer et rester magnifique.
Et le shweshwe, c’est ça.
Et c’est un concept que j’adore. Il est temps peut être d’arrêter le gâchis et la pollution causée par l’industrie du textile en investissant dans la qualité et le durable… mais je m’emballe…
Mais sinon, d’où vient le terme Shweshwe – isishweshwe , tel que nous le connaissons en Afrique du sud ? Il y a plusieurs versions de l’histoire. La version la plus plausible, serait celle des missionnaires français dans les années 1840 qui auraient offert du tissu Indigo au Roi du Lesotho, Moshoeshoe I (prononcé « moshweshwe »…). Une autre version de l’histoire de ce nom surprenant viendrait du bruit que fait ce tissu à la texture amidonnée lorsque les femmes marchaient dans la rue avec leurs jupes longues et bouffantes.
Shwe-shwe-shwe… En fait, l’usage de l’amidon date du temps où le tissu était importé d’Europe par bateau, et notamment de l’usine anglaise Tootal à Lancashire – afin de conserver le tissu pendant la traversée, on utilisait de l’amidon. Encore aujourd’hui, le tissu est rigide à la sortie de l’usine, mais devient doux et inodore dès le premier lavage.
Un amateur de tissu shweshwe sait reconnaitre le vrai du faux. Un shweshwe original non lavé a une odeur distincte, forte, un peu comme des crayons gras d’écoliers. Entrer dans un magasin de shweshwe au centre de Johannesburg, c’est une expérience autant olfactive que visuelle. Sinon, c’est en retournant le tissu que l’on reconnait un vrai Shweshwe : il y a toujours l’emblème « 3 cats », « 3 leopards » ou « Toto 6 Stars » imprimé sur l’envers du tissu.
Da Gama reste le seul producteur de véritable Shweshwe dans le monde. Malgré le développement de nouvelles couleurs et motifs, c’est le bleu, le rouge et le marron qui demeurent les couleurs les plus vendues : les vêtements traditionnels ont encore une place importante dans de nombreuses cultures sud-africaine.
Ce qui est magnifique à observer, c’est qu’il a y une nouvelle génération de créateurs sud-africains, la vraie génération de la Rainbow Nation (nation arc en ciel) née postapartheid, qui créent un style à leur image : inspiré de leurs origines, de leur pays, aujourd’hui ouvert d’esprit et multiculturel ; un style qui unifie tout le monde en respectant les particularités de chacun.
Pas mal pour un tissu, non ? Et grâce à eux, le shweshwe a trouvé sa place dans la vitrine mondiale : l’attrait des couleurs et des motifs du shweshwe nous séduit tous.
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