23h45. Tout le monde dort enfin. Je ferme mes dossiers, retire mes talons, me sers un whisky écossais.
Ce monde de dingue m’épuise. Femme, mère, carriériste, amante, amie, salope. Pas le choix que de porter toutes les casquettes.
Je m’appelle Olivia Barry. Mes amis m’appellent la Baronne, du haut de mon mètre 65 et de mes 48kgs, c’est un surnom pourtant plutôt bien attribué.
Je choisis d’être seule. De vivre seule. Je n’ai besoin de personne sauf de mes amis, et de mes amants, qui passent, disparaissent, réapparaissent, ne me lâchent plus. Je gagne plutôt bien ma vie, j’ai des amis haut placés, des artistes, des entrepreneurs, des dirigeants politiques.
Le pouvoir me séduit et je séduis le pouvoir. Les seuls hommes auxquels je me dévoile sont homosexuels. Les seuls qui ne finiront pas par me vouloir pour eux tout seul. Avec eux je suis moi-même ; beaucoup plus qu’avec mes amies. Les femmes ne m’aiment pas. Enfin, si. Elles veulent me détester, veulent me trouver des défauts – vulgaire ? Peu digne de confiance ? idiote? Mais elles n’en trouvent aucun. A vrai dire, je pense plutôt que ce qu’elles me reprochent, elles aimeraient secrètement se l’approprier – en faire autant…
Je porte des vêtements toujours classiques mais avec une pointe d’audace, un décolleté laissant entrevoir la courbe d’un sein, jupe négligemment remontée un peu trop haut sur la cuisse dans le grand canapé d’un gentlemen’s bar… elles n’oseraient pas, sauf en phantasme … c’est de là que provient leur dédain. Leur homme (j’utilise bien le singulier…, sous le joug des conventions, elles ne peuvent en avoir qu’un à la fois. Les pauvres.), me regarde un peu trop, parle de moi un peu trop. Je sais que je les intrigue tous- et toutes.
Vois-tu, je suis libre.
Libre.
Délicieusement libre. Je n’appartiens à personne, ni à une ville, ni à un homme, ni à un employeur. Je fais ce que je veux, ou je veux, avec qui je veux et surtout, quand je veux. Les hommes ne me résistent pas. Contrairement à d’autres, je ne suis pas à l’affut du rêve domestique, du couple monogame, d’une vie rangée. Les hommes ne peuvent pas faire de moi la leur, leur possession – d’ailleurs, ceux qui ont essayé se méchamment brulé les ailes.
La nature humaine a besoin de posséder. Un paysage devient photo, la voiture neuve des voisins nous fait envie, un coquillage trouvé à la plage se retrouve sur l’appui de fenêtre ruisselante de pluie de la salle de bain de notre appartement banlieusard. C’est la même chose avec les humains. On ne se contente jamais simplement d’aimer, et de faire l’amour – il faut à tout prix s’approprier un amant et se faire la promesse intenable d’une fidélité éternelle.
Le coquillage était bien plus beau sur la plage.
Chasser. Posséder. Se lasser. Désirer et être désiré.
Voila en gros de quoi la vie est faite !
Puis, entre en scène une femme imprenable.
Un irrésistible défi à relever. C’est pour ça que j’attire les hommes puissants. Ils ont l’habitude d’avoir ce qu’ils veulent. D’acheter. Alors ils essaient, me sortent, me gâtent, veulent m’éblouir, me faire succomber. Ça les rend fou. Et je joue…
Mon pouvoir, outre ma liberté inconditionnelle, est l’art de la manipulation séductrice – doux, discret, mais puissant. Un regard, le mouvement d’un poignet, la façon de dénuder son cou, de placer la jambe – si subtile et précis. Arme infaillible.
Pourtant je suis seule ce soir. Comme la plupart des soirs. Les hommes ici me barbent, je ne peux même pas jouer avec leurs femmes, et puis de toutes façons, elles m’assomment avec leurs histoires banales de famille parfaite ; leurs fringues insipides le triste reflet d’une vie sexuelle éteinte. Les hommes n’ont plus de couilles. Les années 70 ont été bien vites oubliées. La bague au doigt la trentaine à peine franchie et ils se cachent derrière leur bedaine, leur carrière et leur petite maison au portail blanc.
Pour m’épanouir, je cherche l’âme sœur – le libertin, intellectuel, beau, sophistiqué, libre, lui aussi.
Le prix de la liberté, c’est la solitude.
Alors je deviens louve parmi les moutons. Je joue. Je joue le grand jeu de la séduction – un vampire parmi les morts-vivants. Une morsure de mes lèvres pour leur redonner goût à la vie.
Je ne me souviens plus à quel moment de ma vie je me suis rendu compte du pouvoir que j’exerçais sur les autres. Très jeune je crois – déjà a 5 ans, je me souviens avoir été très sexuelle. Comme beaucoup de petites filles, je me touchais en toute innocence, et mes fantasmes étaient d’ailleurs plus ou moins les même qu’aujourd’hui : à l’époque, je me transformais en sorcière qui séduisait son amoureux d’un regard. … a 17 ans, mes petits seins tout fraichement formés et délicieusement rebondis, j’ai vu le regard des garçons se transformer, j’en faisais ce que je voulais. Enfin j’existais. Et j’étais désirée. C’était tellement facile, mes lèvres effleuraient les rêves des lycéens, et m’obtenaient tout ce que je voulais. J’ai vite appris, développé mes stratégies. Vingt ans plus tard, plus personne ne résiste.
J’ai développé un test – assise à la terrasse d’un café, je jette mon dévolu sur le plus laid, le plus banal des passants qui me tourne le dos. Je sens mon regard lui transpercer le corps, mes mains effleurer sa peau – je sens mes mains bruler – l’homme se retourne, et me regarde. A. Chaque. Fois. Ça m’amuse. J’en ai besoin – j’ai besoin de séduire, de me nourrir du désir des autres.
Ce soir, je vous attends chez moi.
J’ai décidé de vous ouvrir ma porte, de vous inviter à vous assoir devant moi, pour me regarder vous lire mon journal intime. Je voudrais vous initier. Je voudrais voir naitre dans vos yeux le désir. Je veux qu’après une séance de lecture vous ayez envie de rentrer chez vous et baiser fiévreusement, à même le sol, les rideaux ouverts.
Vous entrez ?
La Baronne